Interview | Confidences d'un Mangeur de Rêves
Détrompez-vous, le Mangeur de Rêves n'est pas la maudite machine qui avale tout, mais plutôt un jeune quintette montréalais aux horizons musicales hétéroclite qui fabrique une forme de folk-progressif.
La formation est composée de musiciens originaires de Repentigny, Papineauville, Saint-Romuald et de Québec en passant par Nice. Elle fait le lancement de son album Histoires à l'envers, ce dimanche 14 avril à 20h au Verre Bouteille avec Valmo en première partie, alors ne manquez pas ce spectacle qui promet ! Voici donc une mise en bouche avec une critique de leur premier opus rehaussée par un entretien à la sauce maison.
La formation est composée de musiciens originaires de Repentigny, Papineauville, Saint-Romuald et de Québec en passant par Nice. Elle fait le lancement de son album Histoires à l'envers, ce dimanche 14 avril à 20h au Verre Bouteille avec Valmo en première partie, alors ne manquez pas ce spectacle qui promet ! Voici donc une mise en bouche avec une critique de leur premier opus rehaussée par un entretien à la sauce maison.
Il s'agit ici d'un album qui puise autant son inspiration du côté d'Harmonium, que de Daniel Bélanger, Beau Dommage, Jacques Brel, Karkwa, Porcupine Tree, Pink Floyd, Radiohead, Dream Theater, Opeth, Tchaikovsky et même chez Miles Davis. Il n'est pas très étonnant que sa sonorité soit si riche comme peut en témoigner la pièce Enfants de cœur, qui est une composition entre le folk et le rock progressif que l'on dirait tout droit sortie des années '70, avec des textes lucides, sensés et sensibles, sans pour autant verser dans le côté fleur bleue, remplie d'harmonies vocales fort bien réussies. On pense à un amalgames d'éléments que l'on dirait puisés dans le répertoire de Besnard Lakes, Timber Timbre et Lakes Of Canada pour ne nommer que ceux-ci. Tandis que la pièce Ainsi parlait Pinel est telle une courtepointe auditive, où des textes philosophiques qui, par moments, se permettent des pointes de critique sociale. Elle dansent ensemble en parfaite symbiose avec les arrangements acoustiques recherchés, qui rappellent tantôt Erik Mongrain pour sa technique de tapping et Days Of The New pour ses progressions d'accords non-conventionnels, tout en laissant place aux harmonies vocales. En un mot : équilibre ! Fille de lune est une pièce atmosphérique à souhait, loin d'en faire trop, avec une pointe de nostalgie et même de mélancolie palpable à travers les cordes qui résonnent (autant issues des guitares que des voix), poussées par un sens aiguisé pour les mélodies. À la fois apaisante et lourde de sens, imagée et abstraite. Une douleur en douceur contrastée. Un enregistrement tout simplement remarquable !
Entrevue avec Alex Cégé (voix, guitare acoustique)
Raconte-nous un peu la genèse du groupe.
Lorsque Jici LG (guitare électrique, guitare acoustique, voix) et moi n'étions qu'un duo, nous sommes allés voir un spectacle de Pain of Salvation pendant le temps des fêtes. On faisait des blagues sur le
fait que groupe fait "de la musique pour musiciens", parce
que c'est assez technique et qu'habituellement, beaucoup de gens dans la foule
sont guitaristes, bassistes, batteurs, etc. À la fin du spectacle, j'ai dit à
Jici : "En tout cas, c'est le moment de recruter des musiciens." Le
gars en avant de nous dans la file pour les vestiaires s'est retourné en disant
: "Vous cherchez quoi ?". C'était JPhil, notre futur bassiste et
deuxième chanteur. On lui a répondu, on s'est mis à parler et "the rest is
history", comme on dit!
Quand on a commencé à se chercher un
percussionniste, notre annonce était assez spécifique. On cherchait quelqu'un qui jouait du cajon, et qui avait pour influences Daniel Bélanger,
Harmonium, Porcupine Tree et Opeth, un mélange un peu inusité. Raphaël Liberge-Simard (percussions) était
inscrit sur les pages de musiciens de Montréal sur Facebook, où nous avions
affiché l'annonce. Il s'était pourtant désabonné quelques mois avant et ne
recevait plus les notifications. Étrangement, un matin en se réveillant, un
unique rayon de soleil se posait sur son cellulaire entre les rideaux.
Lorsqu'il a ouvert son téléphone il est tombé sur notre annonce de façon
assez inusitée, considérant son désabonnement de la page, et il s'est dit :
"Hey, c'est moi ça", en se reconnaissant dans l'annonce. C'est comme
ça qu'on a rencontré notre percussionniste !
Comment le processus
créatif a pris forme derrière les pièces entendues sur votre premier album ?
Qui a fait quoi au niveau de leurs créations ?
Chaque pièce était différente dans sa création, mais en général c'est Jici et moi, sauf pour la pièce instrumentale Refuge, qui est
une idée de JPhil Major (basse, voix, guitare
acoustique). Elles sont arrivées avec une sorte de squelette ou
d’embryon qui comportait une structure, des progressions d’accord et des
mélodies. J'écrivais les mélodies vocales et les paroles en lien avec ces
squelettes-là. Parfois, c’était l’inverse : le texte était écrit d’abord
et une idée musicale était développée pour fitter avec la vibe des paroles. Jusque-là, on peut dire que c’était environ
20 à 30% du travail qui était fait. C’est par la suite, quand les pièces étaient
amenées au groupe que le gros du travail se faisait (arrangements,
harmonies vocales, ajouts de passages instrumentaux, etc.), on fonctionne de
manière démocratique, en incluant les idées de tout le monde et en faisant
énormément évoluer les pièces à travers le temps. Plutôt que d’écrire plein de
chansons, on accorde beaucoup de temps à chaque pièce. C’est comme avec les
bébés : on a choisi de donner plus d’attention en élevant chaque enfant
qu’on a eu, plutôt que d’en avoir plein à la base ! Ça a plus de sens pour
nous. On dit souvent à la blague que si on avait encore laissé du temps passer avant
d’enregistrer, on aurait un album complètement différent aujourd’hui.
Pour ce qui est des thèmes, l’album a beaucoup à voir avec les cycles de création et les impasses émotionnelles et relationnelles : les périodes où l’imagination devient un désert stérile, le fait d’avoir une histoire à raconter quand personne n’est à l’écoute, le besoin d’être entendu, la mince ligne entre la folie et la créativité, la peur de l’engagement et de l’engloutissement, l’expression de la colère, l’écoute de l’autre et la place de l’amour dans tout ça.
Mangeur de rêves étant un monstre à 5 têtes; est-ce un
défi, un atout ou un obstacle que ce soit au niveau créatif, pour booker des
spectacles, ou pour que ce soit une aventure rentable ?
Je
dirais que c’est une arme à double tranchant : ça nous permet de diviser
le travail (et les coûts, on se le cachera pas !) et ça nous fait un plus gros
bassin d’idées avec lesquelles travailler. Mais en contrepartie, comme on
fonctionne de manière démocratique, ça fait qu’effectivement, les cinq têtes du
monstre veulent pas toujours la même chose ! Par contre, pour citer Enfants de
cœur : « Et si au moins on l’oubliait pas, les enfants de cœur
arrivent tout le temps à bout de tout. »
Quelles ont été
les étapes de l’enregistrement de votre album au mythique Breakglass Studio ?
On
a d’abord enregistré live tous ensemble la guitare acoustique,
électrique, la basse, le cajon et le piano. Puis on ajouté nos 8000 couches de
guitares, de percussions et de voix additionnelles. On a ensuite mixé assez
vite l’album (James Benjamin, notre ingénieur de son, avait vraiment le doigté
pour faire ça très rapidement). Puis on a demandé à David Lizotte (membre de
Hillward, qui travaille aussi avec Caravane, notamment) de faire le mastering. Et
puis, après quelques versions, voilà le résultat final !
Est-ce important
pour vous de demeurer indépendant ou si vous seriez prêts à signer un contrat
avec une maison de disque demain matin ?
Quand
on écrit, on essaie d’atteindre un équilibre entre juste assez familier ou
accessible, et juste assez étrange ou expérimental pour que ce soit à la fois
intéressant et confortable. Donc si demain on trouvait une maison de disques
qui nous laissait faire ça, on serait bien contents ! On ne veut pas diluer
notre créativité pour vendre plus (même si on compte avoir une ou deux tounes
plus radiophoniques pour le prochain album), mais on est tout à fait ouverts à
un label qui nous encadrerait et nous aiderait à nous faire
connaître.
Qu’est-ce que vous
retenez de votre participation à de Ma
Première Place des Arts vous rendant en quart de finale de sa 25e
édition en 2019 ?
C’était
une expérience époustouflante ! On a rencontré plein de gens, on a joué dans
une salle magnifique, on a eu plusieurs bons conseils. Et avant tout, je pense
que c’était notre introduction au milieu de la musique au Québec. Avant ça, on
était cinq gars (sauf JPhil, qui est un habitué du monde de la musique) qui
composaient et jouaient de la musique dans un appartement et qui avaient décidé
d’enregistrer un album en studio pour réaliser un rêve. Ça a été une belle
surprise pour nous d’être pris en audition et de passer en quart de finale et
ça nous a fait croire en nous et en notre potentiel !
Que
souhaitez-vous que les auditeurs retirent de l’écoute de votre musique ?
Je
pense que chacun peut tirer ce qu’il veut des paroles : elles sont juste
assez ambiguës pour que l’auditeur puisse projeter quelque chose qui lui
appartient, mais quand même assez claires pour raconter une histoire. Et comme
ce sont des thèmes universels, qui touchent aux relations interpersonnelles, je
crois que ça peut rejoindre un peu tout le monde. Donc quoi retenir ? Il n’y a
rien à nécessairement retenir, mais l’écoute de notre album est définitivement
une belle occasion de se plonger dans un univers et qui sait … Peut-être
déclencher ou faire avancer un processus introspectif. Ou sinon juste de rêver
un peu !
Comment la
conception de la pochette de l’album s’est matérialisée ?
On
avait une idée un peu vague en tête autour d’une scène de rêve, où l’on verrait
une silhouette du Mangeur de rêves. On est tombés complètement par hasard sur
les œuvres de Lénième, qu’on a tout de suite trouvées magnifiques. Il était
ouvert à faire quelque chose pour nous, donc le résultat est un point de vue vraiment personnel de Lénième sur notre idée de base, très
proche de son propre style. On lui a aussi demandé d’inclure le château (le
refuge métaphorique de la pièce Refuge est la silhouette du
caribou pour donner un genre de présence, une composante incarnée dans le
paysage peint par Lénième. On est bien fiers du résultat ! Plus onirique que
ça, tu meurs, comme on dit !
Selon vous, quel
est le plus grand défis pour se démarquer au niveau artistique aujourd’hui ?
Il
y a beaucoup de bruit dans l’industrie musicale aujourd’hui.
Comme tout est accessible ici, maintenant, gratuitement et qu’il est hyper
facile de distribuer sa musique, c’est très difficile de juste se faire entendre
parce qu’il y a tellement de choix ! Aussi, on ne se le cachera pas, pas mal
d’idées musicales ont déjà été explorées (pour ne pas dire toutes) : on n'a
qu’à penser au silence de quatre minutes dans la pièce 4’33’ de John Cage.
C’est comme pour tous les bons noms de groupes, ils sont déjà pris ! Mais plus
sérieusement, pour se démarquer, je pense qu’il faut rendre quelque chose d’intime,
de personnel. Oui, chercher à expérimenter avec la signature de temps ou la
structure peut aider une pièce à se démarquer, mais avant tout ça part du fait
qu’on est les seuls à avoir le vécu qu’on a qui fait qu’on est les seuls à
pouvoir écrire les tounes qu’on écrit.
Dans l’idéal,
quelle est la marque que vous aimeriez laisser dans le paysage musical ?
Faire
passer une pièce de 6 minutes à Rouge FM, comme dans le temps de Pink Floyd et
des Eagles ? Sans blague, ce serait bien si on pouvait se faire entendre
par un paquet de gens au Québec (ou ailleurs) et que ça pouvait avoir du sens pour
eux, d’écouter notre musique, de s’y reconnaître, ou juste de passer un bon
moment. On pense aussi que c’est important d’écrire en français, pas juste pour
les raisons qu’on entend habituellement, mais aussi parce qu’essayer de dire
quelque chose dans une autre langue ne veut jamais tout à fait dire la même chose dans notre langue maternelle. Écrire dans notre langue, c’est autrement dit une façon
particulière de s’approprier et de communiquer notre vécu. Les tounes ne
seraient vraiment pas les mêmes si on les avait écrites en anglais (ou dans une langue étrangère, d’ailleurs). Chaque langue a ses couleurs, et on aime bien les
nôtres !
Autant au niveau
des arrangements que des textes, on sent une grande profondeur, une sorte de sagesse,
voire un côté philosophique à votre musique, cultivez-vous un aspect spirituel
(non religieux) dans vos vies ?
Je pense que le
côté spirituel est présent un peu partout dans nos vies. Il y a du
sacré dans les relations, dans l’amour, dans la musique. Nul besoin d’être
religieux pour être connecté, comme tu dis ! Pour ce qui est des paroles, je m’inspire beaucoup directement ou indirectement de mon travail de
psychothérapeute, de mes relations, de la poésie, de romans ou d’auteurs que
j’ai lu, qui m’ont influencés à travers le temps. C’est drôle parce que j’avais
une personnalité qui se voulait très rationnelle, pragmatique, analytique et
moins ouverte au spirituel avant de rencontrer ma blonde, qui m’a initié à ce
côté-là. C’est en partie grâce à elle si l'on peut sentir un équilibre entre le
cérébral et le spirituel dans les textes. Sinon, nos pratiques et
nos spectacles sont un peu une occasion d’entrer en transe. Donc oui, il y a de la
spiritualité en filigrane un peu partout dans notre musique !
Voici un extrait très représentatif de la formation montréalaise issu de l'album Histoires à l'envers, paru le 15 janvier 2019, que l'on retrouve dans son intégralité par ici. Bonne écoute !
Voici un extrait très représentatif de la formation montréalaise issu de l'album Histoires à l'envers, paru le 15 janvier 2019, que l'on retrouve dans son intégralité par ici. Bonne écoute !
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