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Les coups de cœur

EXPANSYS | Interview


Gabriel Rivard-Drapeau (Gazebo) et Guillaume Sauvé (Sleeprunner) sont deux amis de longue date qui ont des projets musicaux en commun. Depuis quelques années, ils se sont graduellement éloignés de la musique rock et funk, sphère dans laquelle leur groupe Jackpot Trigger a évolué, pour prendre un virage de plus en plus électronique. Une nouvelle identité s'est alors lentement imposée, puisque leurs explorations sonores n'avaient plus rien à voir avec ce qu'ils faisaient ensemble auparavant.

En parallèle à cette évolution musicale, les deux fidèles comparses se sont lancés dans l'aventure TechnoSynth Instruments; une boutique en ligne d'interfaces analogiques audio et vidéo et de synthétiseurs modulaires.


Depuis, leur passion et leur savoir-faire pour la fabrication de sonorités recherchées n'ont cessés de s'accroître. Lentement, ces tapisseries musicales abstraites ont eu recours à un enrobage visuel singulier; celui de Georges-Étienne Tremblay (Georgi Patchouli), avec sa fascinante approche organique, tel un peintre de l'ère numérique. Ceci viendra cimenter un nouveau collectif nommé Expansys. Formé il y a tout juste quelques années, ils se retrouve déjà au sein de la programmation du 20e festival Mutek dans le cadre de la soirée Nocturne 1, l'un des premiers événements à guichet fermé de l'édition 2019 !


Voici une entrevue divisé en trois temps pour chacun des membres de ce fabuleux collectif qui ne fait que commencer à impressionner. Gageons qu'il n'a pas terminé de faire parler de lui avec cet alliage de créativité, d'improvisation musicale et de fresques visuelles tout simplement époustouflantes !


Gazebo (Gabriel Rivard-Drapeau)


Comment arrives-tu à gérer simultanément une boutique d'instruments en ligne et ce projet ?

Heureusement, ma recherche musicale et mon emploi sont extrêmement liés. Autant par mon partenariat avec Guillaume que mon développement comme artiste et mon expertise dans le domaine des instruments et de leurs utilisations.

La représentation et la vente, lorsque l'on est artiste, ce ne doit pas être toujours évident…

Effectivement, je ne suis vraiment pas un "bon vendeur" dans le sens classique du terme, mais j'aime par-dessus tout ce que je fais. La musique comme les interfaces pour la réaliser sont devenues mes passions. Peut-être que, de mon côté, c'est ce que j'arrive le mieux à partager, et mon contact avec les gens se fait de cette façon. Je perçois davantage les plateformes comme un moyen de partager des nouvelles qui me tiennent à cœur personnellement davantage qu'un outil de vente. J'aime entretenir cette discussion avec les gens et, plus souvent qu'autrement, ce sont eux qui me rejoignent pour me parler de ce qui les intéressent en ce moment.

Inondés d'offres et d'informations, noyés de ce flot perpétuel de notifications de toutes sortes, comment fait-on pour se faire remarquer ?

Porter l'afro et mesurer 6' 4'' (1,93 mètres) aide beaucoup ! Non, mais sans farce, c'est très difficile pour moi d'être constant sur les médias sociaux, Guillaume me motive beaucoup dans cette dynamique. Je crois que c’en est une des clés.

Originaire des Laurentides, il y a tout un pas entre la forêt et l’électronique, qu'est-ce qui t'as initialement attiré vers cet univers ?

J'ai tout de même débuté comme batteur pour un groupe rock et il y a ensuite eu Jackpot Trigger, entre autres ! Je pourrais dire que tous les membres de ma famille sont électriciens, mais je ne crois pas que cela soit une vraie raison... Le son assurément, je suis éperdument attiré par les palettes sonores que l'univers modulaire peut générer. Aussi, je suis une personne visuelle et très tactile, alors le système modulaire m'a tout de suite sauté aux yeux dès la première fois que j'ai eu la chance d'en voir un. Le fait de voir et de pouvoir se représenter clairement les connections, tout en aillant les mains extrêmement actives et en contact avec l'instrument. J'aime la vibration que ce système m'apporte et le travail cérébral de conception et de visualisation qu'il amène.

Dans ce coin de pays, à s'intéresser à ce genre de choses, est-ce qu'on peut en arriver à se sentir un peu comme un extraterrestre ?

C’est vrai qu’au Québec, c'est un petit monde le modulaire, mais sa communauté est de plus en plus riche. Pour ma part, j'ai besoin de la cohabitation de ces deux mondes. La plupart des gens ne s'intéressent pas vraiment à l'outil que tu utilises, ils vibrent ou pas sur l'expérience que tu leur proposes. En ce qui me concerne, j'aime les processus ! Si j’habite à la campagne et non en ville c'est pour respirer. Je me sens parfois plus extraterrestre en ville !

Nous sommes à l'ère où le plastique est démonisé et, avec ces machines; le modulaire et compagnie, Expansys en fait une utilisation exhaustive. Vous êtes en quelque sorte aux antipodes du minimalisme. N'est-ce pas un peu contradictoire ces outils versus la conscience écologique ?

Il ne faut surtout pas oublier que cette communauté en est une remarquable en ce qui concerne, premièrement; l'entraide, le DIY et le "recyclage". De mon côté, la plupart de mes modules sont de deuxième voir de troisième main etc. Il y a des gens à Montréal ou ailleurs au Canada qui ont comme principal emploi la réparation de ces outils. Par exemple, y'a un type à Boisbriand qui répare des synthés de façon exceptionnelle, on le retrouve entre autres sur les pages Facebook comme Canadian Modular/Synthesizer Gear Exchange, tu n'as qu'à mentionner ton problème et la communauté est là pour aider. Qui jette un module ?

Je ne veux pas faire l'avocat du diable, mais à un moment où un autre, un produit donné en arrive à sa fin de vie utile, pas vrai ?

En effet. En général, il s'agit d'un monde de petits fabricants. Je crois que certains réutilisent les pièces pour d'autres projets. Mais oui, le monde du recyclage en est un difficile à gérer, et mal géré.

On suppose que ce soit plus économique au niveau des fabricants d'agir ainsi. De fabriquer des produits fiables, aller à l'encontre de l'obsolescence programmée, il y va de sa réputation aussi...

Bien sûr, un module doit durer et fonctionner dans des conditions extrêmes ! Tu le sais au toucher. En fait, j'aime les instruments qui sont lourds dans une main, que tu peux jouer et ne pas avoir peur de t'exprimer pleinement !

Quelles marques recommandes-tu ?

Soma en Russie est une de mes préférées. Les instruments Vlad sont étrangement presque vivants. Roger Linn et son clavier multidimensionnel. Instruo, Schlappi, monome, dreadbox, Frap tools en Italie, Meng Qi en Chine qui, justement, fait un travail immense pour éduquer à l'importance de créer des choses durables et de qualité. Joranalogue Audio Design aussi, super qualité et performances incroyables et j’en passe !




Sleeprunner (Guillaume Sauvé)


On imagine tout l'équipement que le set-up qu'EXPANSYS nécessite, à l'ère du numérique et de la MAO, pourquoi avoir choisi le chemin de la synthèse modulaire ?

Pour les possibilités infinies que cela permet. Designer un système modulaire demande beaucoup de temps et énormément d'expérimentation mais à un certain point tu te retrouves avec un instrument complètement unique et ça, c'est hyper stimulant !

C'est tout de même complexe à tout raccorder et à trimbaler, j’imagine. Des soucis et des pépins en live sont-ils plus prônes d'arriver ce faisant ?

Définitivement ! C'est un plus gros défi, dans tous les setups / instruments que j'ai joués; il est de loin le plus complexe. C'est facile d'improviser mais difficile d'arriver deux fois au même résultat. La synchronisation de tout ça demande considérablement de tests. 

Donc, probablement pas d'enregistrement du type album en vue pour Expansys... Quels sont les projets à venir ?

Oui, mais plutôt sous forme de sessions live / semi-live. Un album avant la fin de l'année, promis !

Super, hâte de l'entendre ! Est-ce que Sleeprunner va poursuivre son chemin et comment Expansys nourrit cette bête (ou vice-versa) ?

Pour l'instant je suis à 100% investis dans Expansys, donc mes pensées sont axées vers le live, mais bientôt je compte retourner aussi dans mes projets solo en studio (quelque part en 2020).

Comment entrevois-tu l'avenir pour les projets créatifs qui allient arts et technologie de demain, qu'est-ce qu'ils devront inventer ou faire afin de se démarquer selon-toi ?

Je vois le spectacle de type immersif prendre de l'ampleur où l'attention n'est pas nécessairement dirigée vers une scène ou le / les musiciens, mais plutôt sur l'ensemble de l'atmosphère créée et de la combinaison de plusieurs sphères technologiques. Du moins, c’est ce que j’aimerais voir !




Georgi Patchouli (Georges-Étienne Tremblay)


Quel est ton cheminement en tant qu'artiste visuel ?

J’ai étudié le cinéma à l’université, ce qui m’a permis de découvrir le cinéma expérimental qui est rapidement devenu mon genre préféré. Ceci m’a beaucoup aidé a comprendre l’œil et les liens qu’il peu avoir avec l’oreille. Des réalisateurs comme Paul Sharits qui venait créer des rythmes pour l’œil ou encore Brakhage qui venaient jouer sur des tonalités de couleurs pour venir créer différentes émotions chez le spectateur. En sortant des études, le VJing me paraissait un moyen simple et abordable de pratiquer de l’image en mouvement. Apres ce fut Patchouli’s Light Show pour la création d’images fixes ou de court clips sur les médias sociaux et quelques show ici et là, souvent pour des amis. Maintenant, j’aimerais beaucoup me concentrer sur Expansys et de travailler sur des projets collaboratifs d'encore plus grande envergure.

Pourquoi le nom Patchouli's Light Show et comment en est-il venu à se greffer au collectif Expansys ?

En plus d’être organique, le patchouli a une odeur vive et coloré; comme mes visuels, je trouvais aussi chouette que le terme ‘’Patch’’ se retrouve dans le nom car en modulaire on appel ‘’patch’’ la combinaison d’appareils que l’artiste utilise. Pour les liens, je crois que le collectif Expansys existait bien avant Patchouli’s Light Show. Bien qu’il n’avait pas de nom, c’est grâce a Gabriel et Guillaume que je me suis mis a m’intéresser d’avantage aux visuels live. Patchouli’s Light Show à été pour moi le moyen d’intégrer le monde du visuel de mon coté, mais nous avions dès le départ l’intention de créer un projet audiovisuel ensemble.

Peux-tu expliquer un peu ton processus créatif derrière ton approche visuelle organique, ta recette de savant-fou finalement ?

Je me suis toujours intéressé à des médiums organiques. Ma première expérience en tant que VJ était avec un ordinateur et un contrôleur midi. Je n’avais pas l’impression d’avoir mes mains dans mon travail, de faire partie de ce que je faisais. Je n’ai pas apprécié cette distance et me suis tout de suite tourné vers le liquid light show. À la base, c’est de l’huile, de l’eau et des colorants pour chacun, mais j’utilise vraiment plusieurs types de liquides avec des consistances différentes en passant du lait aux savons. C’est grâce a Gab et Gui que j’ai découvert le modulaire et que je me suis mis a l’intégrer aux visuels. J’aime beaucoup mélanger l’aspect naturel des liquides et l’aspect technologique des modulaires tout en restant organique. Ceci me permet de vraiment contrôler le glitch comme un liquide.

Est-ce que les produits que tu utilises sont nocifs pour l'environnement ?

Ça dépend... Pour certains le glitch est une pollution visuelle ! Blague à part, à la base, je ne crois pas. Pour les liquides j’utilise de l’eau et de l’huile, du colorant alimentaire et la bougie. Certains utilisent de l’encre d’imprimante pour noircir leur eau, ce qui, je crois, n’est pas très écologique. Pour ma part, j’utilise de l’encre de chine qui est moins efficace, mais fonctionne très bien aussi. Peut-être que certaines marques de savon à vaisselle que j’utilise sont plus nocifs que d’autres, mais j’en utilise rarement.

L'art visuel est souvent synonyme de gaspillage, crois-tu qu'il soit possible de créer tout en limitant le plus possible son empreinte écologique ?

Je suis plutôt d'avis que c'est possible. Par contre, il est difficile de déterminer ce qui pollue le plus entre certaines créations organiques et une œuvre créée par ordinateur, dû aux différents processus de création des produits. Pour moi l’art, c’est exprimer quelque chose. Je crois que c’est ce qui compte le plus et je ne pense pas que l’empreinte écologique devrait venir contraindre cette communication. Elle peut faire partie du message, mais pas le limiter.

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